Lettre à ma mère
Dernière mise à jour : 1 déc. 2018
Par Marie Pauline Chassé
Maman, je suis désolée, je suis une fille.Maman, je suis désolée, je suis une femme libre.Dès ma venue en toi, maman, tu voulais un garçon pour combler le désir de ton mari, lui qui voulait tant un fils. Je n’ai pas été en mesure de te combler, maman. Je t’ai déçue. Je te ressentais. Je le savais. Durant une bonne partie de ma vie, j’ai espéré que tu me prennes dans tes bras, que tu me réconfortes, que tu m’admires, que tu acceptes que je m’exprime. Tu ne m’as pas laissée être la personne que j’étais en réalité.

Je me suis conformée à tes désirs et à tes règles. Je t’ai obéi et j’ai fait la bonne fille. Je devais me faire pardonner à tout prix de ne pas avoir été un garçon. Je me suis perdue, maman. J’ai pris un chemin autre que le mien. J’en ai fait des prouesses pour que tu sois heureuse, maman. J’ai joué des rôles, tous ceux que tu voulais, en fait. Il ne fallait tellement pas nuire à l’image de ta famille. Je suis donc devenue l’actrice principale du film intitulé : « Sois belle et tais-toi », dont tu avais écrit le scénario.
Je suis devenue ta bouée. La peur, la colère, la peine, la culpabilité, la déception de ne pas être celle que tu aurais voulue ont fait de moi ta victime. Tu t’es servie de moi pour avoir une belle image aux yeux des autres. Tu m’as utilisée pour donner l’impression que tu étais parfaite. Tu m’as enfermée dans une cage dorée. J’ai été prisonnière de ton contrôle.
J’ai dû travailler fort pour sortir de cette cage, maman. Je me suis battue, j’y ai presque laissé ma peau. Si tu savais tous les efforts que j’ai mis pour ne pas te ressembler. J’ai lutté une bonne partie de ma vie afin d’éviter à tout prix de te voir lorsque je me regardais dans le miroir. Je t’en ai voulu, maman. J’ai refoulé en moi maintes émotions que je ne me suis jamais permis d’évacuer.
Je me sentais comme une bombe atomique, prête à exploser à tout moment.J’ai essayé de te parler et de te dire ce que j’avais sur le cœur. Tu as refusé de m’écouter. Tu m’as tourné le dos. Tu ne voulais pas connaître la vérité. Ma vérité. J’ai fini par comprendre que tu étais jalouse de moi, de la relation que j’avais eue avec mon père et de cette complicité que nous avions lui et moi. Malgré tout, rien n’y paraissait. Tu réussissais à faire croire aux autres que tout était parfait. Pour toi, le paraître était plus important que tout. J’aurais tant voulu vivre cette complicité qu’une fille souhaite avoir avec sa mère.
J’ai été déçue de toi, et de moi, surtout, d’avoir accepté d’être à ton service.Puis, un jour, j’ai réalisé que je ne pourrais jamais avoir la mère que je désirais dans mes rêves. Je devais me rendre à l’évidence que tu ne pouvais pas me donner ce que toi-même tu n’avais pas reçu. Pour arrêter de souffrir, je me suis détachée de toi, maman. J’ai coupé le lien d’espoir sur lequel je restais accrochée. J’ai dit: « NON, C’EST ASSEZ! » Ce fut terrifiant, voire même parfois périlleux, mais j’y suis arrivée, maman.
J’ai retrouvé mon identité, la mienne. Celle que j’avais dès le départ et que j’ai dû mettre de côté pour te plaire.Aujourd’hui, je te regarde aller, je t’écoute parler et je constate que rien n’a changé. Tu es toujours la même. Tu as encore peur de ce que les autres pensent de toi, tu ne me prends toujours pas en considération et tu ne t’intéresses toujours pas à ma vie.
La seule différence qu’il y a maintenant, c’est que j’accepte qui tu es. J’accepte que je ne puisse pas te changer et j’accepte que tu ne puisses pas m’offrir cette complicité entre une mère et sa fille. J’ai accepté de faire le deuil de toi avant ta mort car si je ne le fais pas, c’est moi qui vais mourir. J’ai décidé de m’offrir le plus beau des cadeaux, maman. J’ai décidé de me choisir.Maman, tu avais, tu as, et tu auras toujours le droit d’être qui tu veux être. Cependant, à mon tour, je choisi d’être qui je veux.
Je suis une fille et je suis une femme libre!
Merci de m’avoir mise au monde.
Ta fille qui t’aime.