Lettre à Noël
Par Marie Pauline Chassé
Cher Noël, je t’écris cette lettre pour t’exprimer les sentiments que j’éprouve à ton égard.
Jadis, lorsque j’étais enfant, tu faisais partie de mon monde imaginaire. Avec toi, tout était possible. Tu me donnais l’impression que j’étais vivante jusque dans mes tripes de petite fille. Grâce à toi, mon monde imaginaire était magnifique et sans faille. Lorsque tu étais terminé, Noël, j’avais déjà hâte que tu reviennes.

Cependant, il me fallait attendre une année et je me souviens à quel point cela me rendait triste.
Tu me permettais de vivre des moments uniques. La famille réunie, le violon d’oncle Arthur, l’harmonica de mon papa, les gens regroupés jouant aux cartes et d’autres qui dansaient et qui chantaient.
Les gros bancs de neige quasiment plus haut que les maisons, les flocons qui descendaient du ciel. On aurait dit qu’ils virevoltaient au son de la musique qui se faisait entendre jusque chez les voisins. À vingt-trois heures, tout le monde laissait cartes et instruments de musique pour s’habiller et aller à l’église voir le petit Jésus qui allait naître au son du «Minuit Chrétien». L’église était bondée. Même le jubé était rempli à pleine capacité. Tout le monde souriait et chantait avec la chorale.

Après la messe, nous retournions chez mes grands-parents et tout le monde s’affairait à préparer les nombreuses tablées pour manger la dinde, les tourtières et le cipaille préparés avec tant de passion et d’amour par ma mère et mes tantes. Puis, les joueurs de cartes reprenaient leurs joutes, les musiciens leurs instruments, et les danseurs se remettaient à giguer, pendant que nous, les enfants, totalement épuisés, trouvions un coin pour aller dormir. La plupart du temps, quand où était terminé, mes parents me retrouvaient couchée sur les manteaux empilés les uns sur les autres sur le lit de mes grands-parents.
À mon réveil, j’étais revenue dans mon lit. On m’avait transportée aux petites heures du matin. Une fois mes yeux ouverts, l’excitation était à son comble, puisque ce moment, que j’avais tant attendu depuis un an, était enfin arrivé. Mes cadeaux de Noël m’attendaient sous l’arbre. Le père Noël avait mangé ses biscuits et il n’y avait plus de lait dans son verre. Il m’avait même laissé un message pour me dire à quel point j’avais été sage toute l’année.

Cher Noël, le temps a passé. À mon tour, j’ai permis à mes enfants de vivre cette même magie de mon enfance, jusqu’à ce qu’ils soient grands.
Puis, un jour, quelque chose de dramatique s’est produit. Ta magie a disparu, Noël. J’ai été des semaines, voir des mois à me demander où ma passion à ton égard était partie.
Pendant plusieurs années, je n’avais plus envie de te voir arriver. J’angoissais même juste à l’idée que tu arrives.
Noël, que s’est-il donc passé? Qu’est-il arrivé pour que ta magie disparaisse ainsi?
Je me suis retrouvée soudainement dans un vide total. Le néant. Et la question existentielle me frappa en plein visage. Que dis-je... en plein cœur!
Qui suis-je?
Pourquoi suis-je ici sur Terre!
Pourquoi tous ces cadeaux à Noël?
Pourquoi m’endetter pour faire plaisir aux autres?
Et puis, j’ai réalisé à quel point j’étais fatiguée. Fatiguée de vouloir plaire sans cesse. Fatiguée de courir. Fatiguée de performer. Fatiguée de vivre sous une pression constante.
À chaque année lorsque je savais que tu allais arriver, Noël, je me demandais si j’allais réussir à passer à travers les emplettes, les décorations, la préparation du souper, et surtout, à m’assurer que tout le monde soit heureux!
Sincèrement, Noël, je suis épuisée. Je n’en peux plus!
En ce qui me concerne, tu pourrais frapper à ma porte aux deux ou aux trois ans et ça ferait mon affaire.
J’ai réfléchi intensément à cette débandade et j’en suis arrivée à la conclusion qu’au fil des ans je m’étais éloignée du vrai sens de ce que tu représentes.
Au temps de mon enfance, nous ne mettions pas autant l’emphase sur les cadeaux. Oui, certes, il y en avait, cependant, l’excitation que nous ressentions était plutôt la joie d’être ensemble, de nous rassembler pour faire la fête.

Depuis plusieurs années, vers vingt et une heures, l’épuisement prend le dessus et tout le monde est rentré chez soi, heureux que ce soit enfin terminé.
Que s’est-il donc passé ?
Si je m’arrête pour observer mon amertume face à toi, je peux voir que je me suis laissée prendre au piège du marketing, qui œuvre si bien à nous faire croire que si nous achetons tel ou tel produit, notre vie sera meilleure et nous trouverons le bonheur.
Je me suis laissée avoir par les sentiments. J’ai investi tant d’énergie dans le matériel que ça m’a éloignée de moi-même et de ma famille. Comment me suis-je laissée entraîner ainsi dans la roue du mensonge ?
Comment faire pour me sortir de cette consommation effrénée ?
Cette année, j’ai entrepris une désintoxication pour tenter de retrouver le sens profond de toi, Noël. Et j’ai pris la décision de rassembler au lieu de dépenser.
J’ai commencé par m’écouter durant toute l’année. J’ai appris à dire «non». J’ai dû arrêter de penser que j’étais la seule à pouvoir tout régler. J’ai appris à déléguer et à cesser de dépasser mes limites. J’ai appris à combler mes propres besoins au lieu de tenter constamment de répondre aux désirs des autres. Et, devine quoi ? Je me sens tellement plus libre!

Et, à bien y penser, pourquoi doit-on absolument te fêter le 25 décembre? Pourquoi ne pas te fêter n’importe quand dans l’année? À des moments que nous pourrions nous-mêmes choisir? Pourquoi pas au printemps, en été ou à l’automne ?
Si nous ne voulons plus être prisonniers de ce que la publicité tente de nous imposer pour le 25 décembre, changeons nos habitudes. La magie de Noël peut être créée juste par la présence des gens qu’on aime, à peu de frais et à tout moment de l’année.
J’ai découvert ainsi que le plus beau cadeau que je pouvais offrir aux membres de ma famille était de leur montrer eux aussi, à prendre du temps pour eux. Cette année, nous avons choisi de célébrer les fêtes beaucoup plus simplement. Et nous avons récupéré beaucoup d’énergie… et de joie !
J’ai retrouvé la simplicité et j’y prends goût. L’essayer, c’est l’adopter!
Je t’aime, Noël, quel que soit le temps de l’année.
Au revoir.